Tribune tirée du journal la prospérité du 17 avril 2025.
Depuis quelques semaines, nous
assistons à un débat sur le
fédéralisme. Dans la presse, le
sujet rivalise avec la crise à l’Est
du pays au point de conclure
qu’intellectuellement et surtout
politiquement, la « peur du
fédéralisme » gagne de plus en
plus une certaine opinion
congolaise. Avant de pouvoir
apporter notre contribution au
débat qui se dessine, posons
avant tout les bases : la peur du
fédéralisme en RDC est une réalité
politique et psychologique bien
ancrée, souvent entretenue par
des discours officiels qui
associent ce système à un risque
de balkanisation du pays.
Pourtant, cette peur ne trouve pas
de fondement solide ni dans
l’histoire politique du Congo, ni
dans une lecture sérieuse des
enjeux contemporains.
Depuis l’indépendance, le mot
«fédéralisme» est fréquemment perçu
comme une menace à l’unité nationale.
L’idée selon laquelle donner plus
d’autonomie aux provinces mènerait
inévitablement à la sécession est
régulièrement relayée, en particulier
par le pouvoir central. Cette crainte
est accentuée par les conflits récurrents
à l’Est du pays et l’implication de
puissances étrangères, ce qui nourrit
un discours de méfiance face à toute
forme de décentralisation poussée.
Chez certains Congolais, la peur
du fédéralisme est infondée. Elle
masque le sentiment d’une élite aux
abois qui s’accroche désespérément
à la centralisation du pouvoir, seule
garantie de leur survie politique et
d’enrichissement illicite. L’argument
avancé, qu’elle croit imparable, est que
le fédéralisme contribue à la
balkanisation d’un pays multiculturel et
exacerbe le phénomène ethnique. Cet
argument est une absurdité voire une
perversité. Elle dénote de la
méconnaissance criante de ce mode
de gestion du pouvoir.
En fait, beaucoup de Congolais
confondent le fédéralisme avec la
sécession. Or, le fédéralisme ne signifie
pas la division ni l’éclatement de l’État,
mais une organisation politique où les
entités locales ont une certaine
autonomie tout en restant liées à un
pouvoir central fort. De grandes
démocraties comme les États-Unis,
l’Allemagne, ou encore l’Inde
fonctionnent selon un modèle fédéral
sans que cela ne compromette leur
unité.
La réalité est que le fédéralisme
est marqué, tant du point de vu normatif
qu’institutionnel, par le désir de
protéger l’Etat et les diversités
socioculturelles (groupes minoritaires).
Il permet d’unir les diversités
(collectivités territoriales, entités
fédérées) dans un ordre commun (Etat
fédéral) pour accroître leur solidarité
tout en préservant leur autonomie, leur
particularisme ou leur différence. Le
fédéralisme garanti à la fois l’unité
d’ensemble, la solidarité et l’autonomie
effective des diversités socioculturelles
dans leur domaine des compétences,
qui sont inaliénables, inviolables,
définitives et qui ne peuvent être
exercées par le pouvoir central, ni être
révoquées par ce dernier de manière
unilatérale. Dans le Fédéralisme, il y
a unité au sommet (Etat fédéral),
diversité et autonomie à la base (Etats
fédérés) et participation des Etats
fédérés au pouvoir constituant et
législatif national (Etat fédéral). La
République est unitaire, mais son mode
de gestion est fédéral. Cette unité
territoriale est garantie par la loi
fondamentale qui s’impose à tous les
citoyens et à toutes les composantes
de l’Etat (Entités fédérées). Les entités
territoriales (Etats fédérés) n’ont aucun
droit de modifier leurs limites internes
et ne disposent pas du droit de
sécession.
En R.D. Congo, après plusieurs
décennies de concentration de tous
les pouvoirs à Kinshasa, avec comme
conséquence, le totalitarisme, le sous développement, les guerres civiles et
le chaos ayant entraînés les violations
massives des droits humains, les
pillages systématiques des ressources
naturelles, l’effondrement du tissus
économique et la partition du pays en
des territoires inaccessibles à ses
citoyens ; la Constitution post conflit du
18 février 2006 issue du Dialogue intercongolais, a levé l’option sur la
décentralisation comme mode
d’organisation et de gestion des
institutions de l’Etat afin d’améliorer le
gouvernance du pays et le niveau de
vie de la population par un partage
équitable et consensuel de ressources
et l’équilibre sociologique du pouvoir,
pour préserver la paix, l’unité et la
réconciliation nationale. Un Etat unitaire
qui a pour seul centre de décision le
pouvoir central est anachronique et
ne répond plus à la complexité de
gestion des Etats modernes.
Dix-neuf ans après son lancement,
le processus de la Décentralisation
stagne aussi bien au niveau de la
gouvernance centrale, provinciale
qu’à celle des Entités Territoriales
Décentralisées (ETD) qui constituent
les 3 centres de décisions autonomes.
En réalité, on assiste à un courant
centripète qui tend à isoler et à vider
de leurs compétences les deux autres
paliers de la gouvernance
décentralisée et du régionalisme
politique en violation de l’article 220
de la Constitution qui interdit la
réduction des prérogatives des
Provinces et des ETD. Les oligarchies
politiques très peu intéressées au
développement ont pris le dessus, à
la fois au centre (résistances des
autorités du gouvernement central) et
à la périphérie (insuffisance des
administrations locales et provinciales).
La Décentralisation s’essouffle et peine
à s’imposer. Tant que les élections
urbaines, municipales et locales ne
seront pas organisées sur toute
l’étendue de la République, la
Décentralisation demeure au niveau
théorique par rapport à ses trois
objectifs, à savoir : la promotion de la
Démocratie, le développement et la
lutte contre la Pauvreté.
Force est de constater la rupture
du consensus politique conclu au
Dialogue Inter Congolais de Sun City
sur le partage équitable des
ressources et l’équilibre sociologique
du pouvoir entre l’Etat, les Provinces
et les Entités Territoriales
Décentralisées.
Les dysfonctionnements que l’on
peut facilement constater dans la
marche de l’Etat congolais, qui
fragilisent sa stabilité et plombent son
décollage économique, sont pour une
large part, tributaire des limites de la
forme de l’Etat consacrée dans la
Constitution.
Tout en reconnaissant qu’aucune
forme de l’Etat ne conduit pas par soi
et automatiquement au
développement, nous devons
également nous interdire une espèce
de déni de la réalité, c’est-à-dire
refuser de voir que l’unitarisme
centralisé instauré depuis 1965 par le
Général Joseph Désiré Mobutu, et
décentralisé par la Constitution postconflit de 18 février 2006, a conduit à
la faillite de notre Etat à cause du
relâchement généralisé de l’effort au
travail, la démobilisation psychologique
et l’absence de toute confiance dans
les structures politiques et leurs
animateurs. Nos choix actuels ne
doivent donc être dictés que par les
évidentes leçons de notre histoire, de
l’expérience vécue et par les impératifs
de la rationalité et de l’efficacité. Les
institutions sont souvent le résultat de
compromis lié à l’existence des
tensions, voire des conflits qui
traversent une communauté nationale.
C’est au regard des avantages
considérables d’une structure
fédérale, particulièrement pour un
pays pluricommunautaire et de grande
dimension physique comme le nôtre,
pour la consolidation de la paix, l’unité
nationale, la stabilité sociale, politique
et la promotion du développement
socio-économique de toutes les
provinces de notre pays ; qu’à chaque
fois que les congolais ont eu l’occasion
de décider sur la forme de leur l’Etat,
qu’ils aient librement, lucidement et
souverainement opté pour une
structure fédérale.
Que ceux qui expriment leur peur
s’apaisent : l’idée fédéraliste n’est pas
étrangère à la tradition constitutionnelle
congolaise. Dès la Conférence de la
Table Ronde de Bruxelles en 1960,
certains leaders politiques –
notamment ceux issus des régions
souhaitant une autonomie
administrative (comme le Kasaï ou le
Katanga) – avaient plaidé pour une
organisation fédérale. La Constitution
de Luluabourg (1964) est un bon
exemple : elle reconnaît une autonomie
réelle aux provinces, même si elle ne
va pas jusqu’à instaurer un fédéralisme
classique. Elle prévoit des institutions
provinciales fortes avec un budget
propre, des assemblées locales et des
compétences législatives
décentralisées. Cette configuration se
rapproche d’un fédéralisme souple.
Cette même philosophie politique se
retrouve même dans
le projet de Constitution
élaborée par la Conférence
Nationale Souveraine (CNS,
1992).
Il est vrai que la Constitution
actuelle a accompli des avancées
considérables dans la marche vers un
Etat fédéral. Mais il est tout aussi patent
que cette marche est plombée par des
résistances et des forces d’inertie, qui
s’expriment notamment par
l’empiétement du pouvoir central sur
les compétences provinciales, les
nombreuses violations intentionnelles
des dispositions constitutionnelles, la
péréquation financière non
transparente et inefficace, et la
manipulation des organes provinciaux
et de leurs animateurs au gré des
intérêts égoïstes des autorités du
pouvoir central, sacrifiant ainsi les
aspirations et le développement des
populations locales. M.
KABASUBABU, ancien gouverneur
de la province du Kasaï Occidental l’a
si bien résumé en ces termes : « la
Décentralisation est exploitée à tous
les niveaux par les politiciens avides
de prédation. Elle finit par être pervertie
en un facteur de sous développement ». Pour ce libre
penseur, « les Gouverneurs des
provinces sont pour la plupart
vassalisés, féodalisés par des
prédateurs de tout bord et ne sont plus
au service de la population ni de la
nation ». Et, rien ne peut briser cette
hégémonie centralisatrice, excepté le
mode de gestion fédérale.
De toute évidence, la forme de
l’Etat consacrée dans l’ordre
constitutionnel du 18 février est un
compromis précaire qui devrait nous
placer sur l’orbite fédérale. La faillite
de l’Etat congolais, soixante-cinq ans
après son indépendance, est
consécutive à un refus de nous
assumer et de transformer en destinée
voulue un destin qui a été forgé sans
nous, notamment notre union issue
du sort, et à notre incapacité de bâtir
un futur fait de prospérité et de
grandeur. L’extrapolation en Afrique
des constructions étatiques fondées sur
les modèles du colonisateur, ont
souvent été inopérante et génératrice
des crises multiformes.
La forme fédérale de l’Etat
convient le mieux à des sociétés
hétérogènes, multiculturelles comme
notre pays la RDC. Dans le
découpage des collectivités
territoriales, on devrait rechercher des
espaces comportant des valeurs
idéelles très fortes qui lient l’acteur social
à son environnement vital notamment :
une homogénéité socioculturelle et un
fort sentiment d’appartenance et
d’identification. Ces espaces offrent un
cadre rationnel pour une administration
de proximité, une démocratie
participative et l’impulsion du
développement économique.
La peur du fédéralisme n’a pas
lieu d’être. Et pour cause. La RDC
est déjà un État décentralisé sur le
papier. La Constitution de 2006
consacre la décentralisation comme
principe fondamental. En théorie, les
provinces ont des compétences
propres, une autonomie administrative
et financière. En pratique, le pouvoir
central reste dominant, ce qui nourrit
des frustrations locales. Un
fédéralisme bien pensé pourrait au
contraire renforcer l’unité. En
permettant aux provinces de gérer
leurs affaires selon leurs réalités
spécifiques, on renforce leur sentiment
d’appartenance à la nation. Les conflits
régionaux naissent souvent de l’oubli
ou de la marginalisation : un système
fédéral pourrait corriger cela. Le
fédéralisme peut aussi lutter contre la
corruption. En rapprochant le pouvoir
des citoyens, on améliore la
transparence et la participation
démocratique.
Que les sceptiques s’apaisent : la
peur du fédéralisme en RDC repose
sur des représentations erronées et
sur une instrumentalisation politique.
L’histoire constitutionnelle du pays
montre pourtant que cette idée a
toujours été présente comme une
solution possible pour gérer la diversité
congolaise. Le parti ABAKO et Joseph
Kasa-Vubu l’avaient bien compris dès
les années 50-60. Dans un État aussi
vaste, hétérogène et traumatisé que
la RDC, le fédéralisme pourrait
constituer non pas un danger, mais
une voie vers une gouvernance plus
juste, plus équilibrée et plus efficace.
Pour Kasa-Vubu et les siens, la
diversité ethnique, culturelle et
linguistique du Congo exigeait une
structure politique qui respecte les
identités régionales tout en assurant
l’unité du pays. L’ABAKO prônait une
fédération des régions congolaises, ce
qui était perçu comme une manière de
contenir les tensions ethniques et de
favoriser un développement équilibré.
Kasa-Vubu lui-même, premier
président de la République, voyait
dans le fédéralisme un outil de stabilité
et non de division.
Que ceux qui ont peur sachent
que le fédéralisme est une nécessité
pour contrecarrer la centralisation
absolue du pouvoir, source du
totalitarisme, du sous-développement
et du chaos. Le parti ABAKO, fidèle au
combat mené par ses pères fondateurs
dont les porte-étendards furent Joseph
KASA-VUBU, Président général de
l’ABAKO et premier Président de la
République Démocratique du Congo
et Edmond NZEZA NLANDU,
fondateur de notre parti, lutte pour bâtir
un pays uni et fort, articulé sur ses
grandes diversités qui font le charme
et la force du Congo, afin de
parachever le cheminement de notre
pays vers le fédéralisme.
Kinshasa, le 16 avril 2025
Pierre Anatole Matusila
Président Général de l’ABAKO